[Les hommes qui ont fait Citroën]André Lefèbvre : l'ingénieur visionnaire
- Jérémy
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Après avoir exploré les parcours exceptionnels d'André Citroën, le fondateur audacieux, de Pierre-Jules Boulanger, le stratège rigoureux, et de Flaminio Bertoni, le sculpteur de talent, la série consacrée aux grandes figures de la marque aux chevrons se poursuit. Aujourd'hui, levons le voile sur un homme souvent resté dans l'ombre des bureaux d'études, mais dont l'empreinte technique est omniprésente sur les routes du monde entier. Il est le dénominateur commun des véhicules les plus révolutionnaires du XXe siècle. Voici l'histoire d'André Lefèbvre, l'ingénieur aéronautique devenu architecte automobile, l'homme qui a su traduire les rêves en équations et les concepts en légendes roulantes.
De l'aviation à Javel : l'ascension d'un pionnier (1894-1934)
Né le 19 août 1894 à Louvres, dans le Val-d'Oise, André Lefèbvre grandit dans une époque en pleine effervescence industrielle. Diplômé de l'École Supérieure de l'Aéronautique et de Construction Mécanique (Supaéro), il débute sa carrière non pas sur la route, mais dans les airs. C'est au sein des usines de Gabriel Voisin, pionnier de l'aviation, qu'il forge ses premières armes. Cette expérience initiale est cruciale : elle ancre en lui des principes qui ne le quitteront jamais, tels que l'obsession de la légèreté, la maîtrise de l'aérodynamisme et la répartition des masses.
D'abord ingénieur pour l'aviation pendant la Première Guerre mondiale, il bascule vers l'automobile lorsque Voisin se reconvertit après le conflit. Lefèbvre ne se contente pas de dessiner ; il pilote. En 1923, il prend même le volant de la Voisin Laboratoire lors du Grand Prix de Tours, démontrant une compréhension viscérale de la mécanique en mouvement. Cependant, la crise économique du début des années 30 pousse Gabriel Voisin à recommander son protégé à un certain André Citroën.
Lefèbvre intègre le quai de Javel en mars 1933. Il arrive à un moment charnière : la marque a besoin d'un électrochoc technique pour survivre. André Citroën lui confie alors une mission titanesque : concevoir une voiture entièrement nouvelle, rapide, sûre et économique. Ce projet deviendra la Traction Avant. En appliquant ses théories issues de l'aéronautique, Lefèbvre impose la structure monocoque (supprimant le châssis séparé), les freins hydrauliques et, bien sûr, la traction avant. Lancée en 1934, cette voiture ne sauve pas immédiatement l'entreprise de la faillite, mais elle pose les bases de l'automobile moderne et scelle le début d'une ère fastueuse pour l'ingénieur au sein de la marque.
L'architecte des icônes : De la TPV à la Révolution DS (1935-1958)
Suite à la reprise de Citroën par la famille Michelin, André Lefèbvre voit son rôle se confirmer et s'amplifier sous la direction de Pierre-Jules Boulanger. Si la Traction Avant a prouvé sa maîtrise des berlines routières, le projet suivant exige une philosophie diamétralement opposée : le minimalisme absolu. Il s'agit du projet TPV (Toute Petite Voiture), qui deviendra la célèbre Citroën 2CV.
Lefèbvre, pragmatique et ingénieux, travaille sur l'allègement maximal et une suspension à grand débattement capable de traverser un champ labouré sans casser un œuf, selon le célèbre cahier des charges. Il supervise la création d'un véhicule où chaque gramme est chassé, utilisant des matériaux innovants pour l'époque. La guerre interrompt les travaux, mais à la Libération, la 2CV, dévoilée en 1948, devient le symbole de la liberté retrouvée et de la mobilité rurale. Parallèlement, il applique ses recettes au transport utilitaire en concevant le Type H, dont la structure monocoque et la traction avant offrent un plancher de chargement plat inédit, ravissant les artisans pendant des décennies.
Pourtant, le chef-d'œuvre absolu d'André Lefèbvre reste à venir. Dans le plus grand secret, il orchestre le projet VGD (Véhicule de Grande Diffusion), qui aboutira à la Citroën DS. Ici, Lefèbvre laisse libre cours à son génie avant-gardiste. Il fusionne l'aérodynamisme poussé, travaillé avec Bertoni, et la haute technologie hydraulique développée par Paul Magès. La DS 19, présentée en 1955, est une soucoupe volante dans le paysage automobile : suspension hydropneumatique, freins à disques, direction assistée et utilisation massive d'aluminium et de plastique.
Malheureusement, cette créativité débordante est freinée par la maladie. Atteint d'hémiplégie, André Lefèbvre est contraint de s'éloigner progressivement de ses tables à dessin vers 1957-1958. Bien que certaines sources évoquent des consultations ultérieures ou des liens avec Renault dans ses dernières années, c'est bien chez Citroën que son cœur et son esprit ont laissé une trace indélébile jusqu'à la fin de sa carrière active. Il se retire dans sa maison de L'Étang-la-Ville et s'éteint le 4 mai 1964, laissant derrière lui un héritage technique qui survivra bien longtemps après lui.
L'héritage d'un géant discret
Si l'histoire retient souvent le nom des capitaines d'industrie comme André Citroën ou Pierre-Jules Boulanger, et celui des artistes comme Flaminio Bertoni, il est impératif de redonner sa juste place à André Lefèbvre. Sans sa rigueur scientifique, son audace technologique issue de l'aviation et son refus des compromis techniques, les "Rêves" de Citroën ne seraient restés que de belles idées sur papier. Il est celui qui a permis au mythe de devenir une réalité tangible, faite de métal, d'huile et d'hydraulique. André Lefèbvre n'a pas seulement dessiné des voitures ; il a défini l'ADN technique de Citroën pour le demi-siècle suivant.


