[Anniversaire] 70 Ans de la Citroën DS : retour sur une gestation secrète qui a changé l'automobile
- Jérémy
- il y a 2 heures
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Pour le dernier article de cette série estivale consacrée aux Citroën qui fêtent leur anniversaire, il était impensable de ne pas nous arrêter sur un monument, une icône qui célèbre ses 70 ans : la Citroën DS. Plus qu'une voiture, elle fut une apparition, un coup de maître magistral qui, dès sa présentation au Salon de Paris en 1955, a relégué toute la production automobile mondiale au rang de la préhistoire. Son influence fut telle que, des décennies plus tard, elle continue de fasciner et d'inspirer. Tout semble avoir été dit sur la "Déesse", son design sculptural, son confort inégalé et sa carrière foisonnante. Pourtant, si le résultat est connu de tous, le chemin pour y parvenir fut long, semé d'embûches, de doutes et de coups de génie. C'est sur cette genèse, cette gestation complexe et passionnante qui a finalement débouché sur un succès planétaire, que j'ai souhaité revenir. Attachez vos ceintures, nous remontons le temps.
Une genèse secrète et mouvementée : du projet VGD à la vision de Pierre Bercot
L'histoire de la DS ne commence pas dans les années 50, mais bien avant, dans l'esprit visionnaire des équipes Citroën. Dès 1938, à peine la Traction Avant solidement installée sur le marché, le bureau d'études du Quai de Javel planche déjà sur sa remplaçante. Le projet, nommé en interne "VGD" (Voiture à Grande Diffusion), est dirigé par le PDG Pierre-Jules Boulanger lui-même. L'ambition est immense : créer une voiture qui surpasserait la Traction en tous points, notamment en matière d'aérodynamisme et de confort. Les premières études, menées par l'ingénieur André Lefèbvre et le styliste Flaminio Bertoni, le duo génial derrière la Traction et la 2CV, donnent naissance à des prototypes aux allures étranges, comme la "tortue" ou "l'hippopotame", des maquettes très profilées et déjà révolutionnaires pour l'époque.
La Seconde Guerre mondiale vient freiner le développement, mais ne l'arrête pas. Au contraire, cette période de clandestinité permet aux ingénieurs de mûrir leurs idées les plus folles, loin des contraintes de la production de masse. C'est à ce moment que l'idée d'une suspension hydropneumatique, véritable cœur du futur projet, commence à germer. Après la guerre, le projet VGD reprend de plus belle, mais subit un coup d'arrêt tragique le 11 novembre 1950 quand Pierre-Jules Boulanger se tue au volant d'une Traction 15-Six équipée de la suspension oléopneumatique en cours de test. Ce drame aurait pu sonner le glas du projet, mais c'est sans compter sur son successeur, Pierre Bercot. Homme de chiffres et pragmatique, Bercot analyse le projet et prend une décision qui changera le cours de l'histoire automobile. Là où certains auraient prôné la prudence, il choisit l'audace absolue. Il donne carte blanche à ses équipes : la future voiture ne devra souffrir d'aucun compromis, elle sera une vitrine technologique et stylistique totale. Fini le VGD, place au projet D. C'est sous son impulsion que Flaminio Bertoni, travaillant comme un sculpteur sur ses maquettes en plâtre, affinera les lignes pour aboutir à cette forme de "goutte d'eau", pure et futuriste, dépourvue de calandre traditionnelle et dotée d'une surface vitrée immense. Cette silhouette, pensée autant pour l'esthétique que pour l'aérodynamisme, était si avant-gardiste qu'elle semblait tout droit venue d'une autre planète.
Le cœur de la Déesse : entre innovation hydraulique et compromis mécanique
Si le style de la DS relevait de la science-fiction, sa technologie interne était encore plus spectaculaire. L'innovation majeure, celle qui définit encore aujourd'hui la DS, est sa fameuse suspension hydropneumatique. Développée par l'ingénieur Paul Magès, cette centrale hydraulique à haute pression ne se contentait pas de gérer la suspension, offrant un confort et une tenue de route jamais vus auparavant, permettant à la voiture de conserver une assiette constante et même de rouler sur trois roues. Elle commandait également le freinage surpuissant, la direction assistée et même la boîte de vitesses à commande hydraulique. Ce système complexe et centralisé était le véritable cerveau de la voiture, lui conférant une personnalité dynamique unique. Le fameux "champignon" en guise de pédale de frein, sans course morte, surprenait les non-initiés mais se révélait d'une efficacité redoutable une fois maîtrisé. Cette concentration de technologies de pointe dans une seule voiture de série était un pari industriel d'une audace inouïe.
Cependant, cette débauche d'innovation cachait un compromis majeur : son moteur. Initialement, Citroën avait prévu de développer un moteur six cylindres à plat, refroidi par air, moderne et performant, à la hauteur du reste du projet. Mais les coûts de développement s'envolent et les délais se resserrent. Face au risque de retarder le lancement et de grever le budget, Pierre Bercot doit trancher. La raison l'emporte sur la passion : la DS sera lancée avec une version profondément remaniée du vieux moteur quatre cylindres en ligne de la Traction Avant. Si de nombreux progrès sont apportés, notamment avec une nouvelle culasse hémisphérique, ce moteur reste la seule concession au passé dans un océan de futurisme. Cette dualité entre un châssis et une carrosserie du 21ème siècle et une mécanique héritée des années 30 est l'un des paradoxes les plus fascinants de la DS. Un compromis qui, finalement, ne l'empêchera pas de conquérir le monde, prouvant que sa véritable révolution se situait ailleurs.
Aujourd'hui encore, la Citroën DS est une source inépuisable d'admiration. Comme nous l'avons vu récemment avec sa riche carrière au cinéma, elle a infusé la culture populaire bien au-delà des frontières de l'Hexagone. Tout semble avoir été dit et écrit sur cette voiture légendaire. Pourtant, en se penchant sur sa création, on mesure l'ampleur du défi relevé par les hommes de Citroën. La route pour passer des premiers croquis secrets à la révélation mondiale de 1955 fut longue, sinueuse et marquée par des drames et des décisions courageuses. Cette gestation, presque aussi fascinante que la voiture elle-même, démontre que les mythes ne naissent pas par hasard. Ils sont le fruit d'une vision, d'une persévérance et d'une dose de génie. Le résultat, pour la DS, en valait magnifiquement la chandelle, donnant naissance à une voiture devenue iconique dès l'instant où le voile s'est levé sur elle.